Le champ opératoire

Nuit de merde. Atmosphère étouffante, Alex dit calme-toi. Le drap est trempé, il est quatre heures du mat. On boit une bière dans la cuisine. Glacée. Elle dit tu devrais partir quelques jours. Viens avec moi à L’Isle-Adam. Tout sentiment de présence réelle, je mords dans un citron vert. Elle dit on peut aller en Bretagne. Tu connais la Bretagne ? Je dis non. Elle dit moi non plus. On reste un moment sans rien dire. Elle change le drap, elle se recouche. Elle se lève à huit heures. Elle prend une douche, elle fait son sac. Elle appelle un taxi. Elle me regarde. Elle dit il y a un truc que je devrais savoir ? Je dis non. Je vais chez Jeannette. Il y a une fille au comptoir avec un chien en laisse. Elle a le crâne rasé, elle lit le Parisien. Des faits divers sanglants, une femme étranglée dans son sommeil par son mec, une ville sinistre et menaçante, des charges féroces, des enragés qui te lynchent pour un oui ou un non, des hordes de microcéphales et d’épuisantes détestations. Ce que je veux dire, c’est qu’est-ce que j’irais foutre en Bretagne, alors que je suis au paradis. Narration récursive, je ne veux aller nulle part. Quelques secondes de silence mais ça ne dure pas. Un pote m’envoie un SMS, il me demande si je suis à Paris. Le bâtard au pelage gris s’est couché par terre et il halète. La fille a lâché la laisse, je ne me sens pas parfaitement cool. Je regarde des posts sur Instagram et ça me fait vite chier. Je paye le café, bruit d’un marteau-piqueur. J’achète un rôti chez Janois. De bœuf. Je rentre et j’écoute Arvo Pärt. Tabula rasa, 1999. Je mets le rôti au four, je fais couler un bain. Je m’immerge dans l’eau tiède. Séances d’apnée à la piscine Roger Le Gall, il y a quelques années. Ceinture de plomb, à plat ventre et au fond du bassin. Les yeux fermés, et jouir de soi. L’édifice invisible, les grondements du tonnerre. Perpétuel bruit de fond, pluies orageuses, j’ai la nuque raide. Le soir. Viande froide et verre de vin. Je n’ai pas grand chose à faire, sinon boire du Mezcal. Regarder un film et sans le voir. L’hypothèse d’un déchaînement de violence en France, des mouvements de panique. Les prostituées de l’apocalypse.

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