Les doigts accrochés au grillage

Écriture de « Voilà, une collection, notes pour le livre à venir ». Tout acte littéraire, le plombier décape une zone de fuite. Obtention de l’homologation gaz, dans ce récit. Une chambre au fond d’un couloir, un lit étroit, deux brebis naturalisées. « La plupart du temps, écrit Livide, je me branle en regardant du porno. Quand je ne me branle pas, je tourne en rond. Je me dis que ça serait cool de me faire sucer sur une chaise électrique. Et puis je me mets à marcher de long en large, tout le temps. Je marche tellement que j’ai les pieds en sang, pleins d’ampoules. » Grand consommateur de films de série z, Livide est fasciné par le jeu des mauvais acteurs. Une esthétique du faux, comme le son désynchronisé d’un doublage. C’est en s’inspirant de ce principe de désynchronisation qu’il a écrit Paris-Plage. Ce que l’on sait de lui, il faudra lire Voilà. Le personnage fait une première et brève apparition dans Pourquoi Tom Cruise, il est alors commissaire d’exposition. Brusque cessation d’activité, une impulsion originelle. Un gros problème avec son père, ne cesse de s’arrêter. Mais laissons-le. Battements cardiaques, je suis en proie à la nervosité. Une grande pièce lumineuse, réunissons quelques objets. Béton ciré, éclairage au néon, dispositif scénique. Le contenu d’un sac aspirateur répandu sur le sol. Un canapé défoncé, un tapis poussiéreux, un album de famille acheté sur eBay, des photos aux couleurs délavées, datant du début des années 1990. Un vieux matelas dressé dans un coffrage en bois, un crochet anal en acier inoxydable soclé, un aigle naturalisé coiffé d’une perruque blonde. Les mots « propriétaire » et « même » imprimés en lettres capitales noires sur un papier 100 % coton, encadrés. Un tableau abstrait, des couleurs vives, des touches épaisses. L’ensemble est rassemblé, entassé au centre de l’espace. Forte envie d’y mettre le feu, de me rouler dans les cendres, de m’en couvrir le corps. Maquillage de guerre, traits noirs sur le visage. Devant moi, sur l’écran de l’ordinateur, les Mercenaires II de Leon Golub, 1979. Trois hommes armés. L’un d’eux, amputé de l’avant-bras droit, tient son fusil d’assaut de la main gauche. Réalisme politique, la condition contemporaine. Fond rouge oxydé, rouages des systèmes de domination et de contrôle. Près de trois mille migrants centraméricains, arrivés à Tijuana, campent au centre sportif Benito Juarez, à quelques dizaines de mètres du mur qui les sépare des États-Unis. Tension extrême, épuisement, mains tendues dans l’obscurité. L’armée américaine déroule des kilomètres de barbelés à la frontière, il a gelé sous abri. Sortir de la résignation, du désespoir, en finir avec le sentiment d’impuissance, en finir avec la précarité. Systèmes de sécurité et d’alerte, complexité des stratégies. Quoi de neuf ? elle me demande (il se peut que je sois chez une amie). Je ne dis rien. Allez, Pierre, dis-moi. Elle cherche dans une pile de vêtements. Tu dois bien faire quelque chose ! Manger du feu, plonger dans la Seine affamé. Course effrénée, les éléments d’une biographie. Champ événementiel, quelques anomalies. Ce matin, reçu d’étranges appels téléphoniques. Numéro masqué, respiration, silence. Toutes les identités, l’existence telle qu’elle est. Cadavres d’adolescents suspendus dans la chambre froide d’un abattoir, réseaux de trafic d’organes, épave d’une Maserati rongée par la rouille près d’un Mobil-Home dans lequel vit une star déchue, riche héritière d’un groupe agroalimentaire noyée dans un Jacuzzi au quarante-cinquième étage d’un hôtel luxueux de Copabana, cartes postales du néant. Perspectives de la vie journalière, Cristaline au G20. Déterminations auxquelles les discours sont assujettis, saisir quelque chose de. Voix altérée, est-ce que je peux me joindre à vous ? Violence, désenchantement, misère sexuelle, balles aveugles de tueurs anonymes, mouvements sociaux, agrégat de revendications, révoltes, communautés, identités, savoirs. Centre et périphérie, base et sommet. Sonorités complexes, sujétion aux autorités, forces d’aliénation, prêches déclinistes, paramétrer les cookies. Vous ressentez le froid, l’humidité, le manque d’espace ? Villas éco-nature au cœur de l’Océan Indien, île privative, luxe aux Maldives. Humeur du jour : positivement panoramique. J’ai à peine déjeuné, comestible et suffisant. Mesure de l’œuvre entreprise, de la distance qui me sépare de (la salle de bain, les allées du G20, la rue de Bretagne, Roquebrune-Cap-Martin, etc.), lecture. Le journal de Johann Wolfgang Goethe, daté du 11 janvier 1797 : « Passé toute la journée chez moi à prendre diverses dispositions. » Celui de Franz Kafka, daté du 1er Août 1914 : « L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine. » Le mien, daté du 21 novembre 2018 : sous la douche avec Pierre Denan.

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